Visualizing Palestine. La résistance à travers les infographies
Cristiana Scoppa, Lea Martinoli / Palestine
Cristiana Scoppa, Lea Martinoli / Palestine
Données, images stylisées, phrases simples et nombres. Pour capturer l’attention et susciter prise de conscience, sensibilisation, action. Avec le projet Visualizing Palestine, le collectif libanais et international Visualizing Impact propose une narration objective, qui permet de mettre de l’ordre dans les données, mais qui vise surtout à déconstruire la manipulation et la falsification récurrentes des informations sur la question israélo-palestinienne. Un simple coup d’œil sur ses infographies suffit pour comprendre ce qui est réellement en train de se passer en Palestine.
Le 5 décembre dernier, le président Trump a annoncé sa décision de transférer l’ambassade USA de Tel-Aviv à Jérusalem, conférant ainsi de manière unilatérale à cette ville le statut de capitale d’Israël. Heure après heure, la situation se fait de plus en plus critique : Hamas a appelé à une nouvelle Intifada, tandis que les protestations qui ont éclaté dans le reste du monde arabe, jusqu’en Europe, ne laissent aucun doute sur la gravité d’une telle décision.
Celle-ci définit « absurde », « maladroite », « inappropriée » dans la presse du monde entier, a été prise à un point culminant de nouvelles frictions entre Palestiniens et Israéliens. Elle intervient trois ans à peine après le dernier bombardement de Gaza, en 2014. L’opération « Bordure protectrice » avait alors causé la mort de 2000 personnes, pour la plupart des civiles, et des montagnes de décombres au milieu desquels se déploient aujourd’hui les itinéraires acrobatiques du célèbre Gaza Parkour And Free Running.
Le conflit israélo-palestinien, qui perdure depuis 1948, existe à différents niveaux, le discours idéologique n’étant pas en reste. Car la manipulation de l’information est une arme aussi puissante qu’inégale, tout comme les missiles que les Palestiniens lancent sur les colonies sont dérisoires par rapport aux armements sophistiqués dont fait usage « une des armées les mieux équipées du monde ».
Pour rétablir la vérité et montrer concrètement ce que signifie vivre sous l’occupation israélienne, en faisant les compte avec la démolition des habitations (25.000 seulement pour Jérusalem Est à partir de 1967, cause de l’exode de plus de 160.000 personnes), le déracinement des oliviers, les check point disséminés sur le territoire, le mur de plus de 440 km déclaré illégal par la Cour Internationale de Justice il y a 13 ans, la carence d’eau, les permis de travail discrétionnaires, la limitation de la mobilité, les familles séparées… il est possible explorer Visualizing Palestine, extraordinaire projet qui allie créativité artistique, data journalisme et plaidoyer politique.
Visualizing Palestine est un des projets d'information en ligne de Visualizing Impact, une communauté créative libanaise composée de journalistes, graphistes, sociologues, ingénieurs informaticiens. Un groupe dynamique, en constante mutation, qui fait appel à des spécialistes pour la recherche et l'élaboration des données en fonction des sujets traités et des projets.
Se faisant ainsi l'interprète de l'évolution internet, où image et texte s’articulent de plus en plus afin de communiquer de manière synthétique et rapide, le groupe exprime son militantisme à travers la création d’infographiques destinés à combattre les clichés ou les manipulations évidentes de l'information. Cela grâce à l'objectivité des données, rendues compréhensibles – et agréables – au moyen d'images, de symboles, de graphiques, qui guident la « lecture », racontent des histoires et dévoilent des vérités cachées.
Le militantisme du groupe se reconnaît aussi dans le choix commercial qu’il a adopté pour la diffusion : les infographiques de Visualizing Impact sont distribuées sous licence Creative Commons afin d'encourager quiconque à les utiliser et à les diffuser. Le groupe a déjà reçu de nombreux prix, et ses infographiques ont été publiés sur des sites d'envergure internationale (Al jazerea ou The Guardian online) et utilisées par des universités, des organisations non gouvernementales ou lors de campagnes de sensibilisation.
Visualizing Palestine est un « work in progress » auquel s'ajoute au fur et à mesure de nouvelles planches, afin de raconter cette terre martyrisée et le drame d'un peuple par le biais d'une contre-information qui dévoile les facettes cachées de la politique israélienne. Mais ce n’est pas le seul projet qui reflète l’engagement du collectif.
Parmi ses travaux les plus récents émergent une série d’infographies décrivant le panorama des médias en Egypte, comme celle intitulée synthétiquement : « More voices. Less freedom » (Plus de voix. Moins de liberté) signalant comment « alors que depuis 2011 le nombre des médias a sensiblement augmenté, exercer le métier de journaliste est devenu toujours plus dangereux ». La censure qui frappe Mada Masr, dont se sont occupés Babelmed et Web Arts Résistances, en est un exemple édifiant. D’autres campagnes méritent aussi l’intérêt comme celle qui rappelle notre attention sur le taux dramatique de chômage des jeunes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord par rapport au reste du monde. On sera également touchés par le portrait de Nelson Mandela, réalisé à l’occasion de l’anniversaire de sa mort, montrant en image, les épithètes qui furent employés pour le définir tout au long de sa vie, et qui fit dire au grand leader devenu président de l’Afrique du Sud : « Autrefois j’étais appelé terroriste…Aujourd’hui je suis admiré par les mêmes personnes qui me définissait ainsi. »
Un enseignement qu’il convient de garder à l’esprit tandis que nous découvrons les infographies de Visualizing Palestine.
Trump contre le consensus global
En 1980, le Conseil de Sécurité des Nations Unies adopte une résolution qui invite tous les Etats membres à s’abstenir d’installer leur ambassade à Jérusalem, parce que cela légitimerait automatiquement la politique d’annexion illégale du territoire palestinien qu’Israël mène vis à vis de cette ville. Aujourd’hui aucun pays n’a son ambassade à Jérusalem. L’Amérique du président Trump est le premier Etat à rompre ce consensus global.
Jérusalem, ville pour tous ?
Jérusalem Est fut occupée et annexée illégalement par Israël en 1967. Aujourd’hui Israël met en acte des politiques d’apartheid vouées à maintenir la croissance de la communauté palestinienne au-dessous de 40% de la population totale de Jérusalem. Entre 2004 et 2006, à Jérusalem, 685 habitations palestiniennes ont été détruites, laissant à la rue 2.513 personnes. Seulement 10% de la dépense publique de la ville de Jérusalem est destinée aux quartiers palestiniens qui abritent 37 % de la population de la ville. 10.000 enfants palestiniens n’ont pas de statut légal parce que leurs parents possèdent des cartes d’identité de différentes sortes. Les enfants qui ne sont pas enregistrés n’ont pas accès à l’instruction, à la santé et aux services sociaux.
Inégalité
Et si on essayait de comparer la discrimination raciale vécue par les noirs américains avec celle vécue par les Palestiniens d’Israël. Cette série d’infographies met en évidence l’inégalité de ces deux communautés de citoyen.nes vivant dans des Etats fondés sur la suprématie ethnique et raciale. Les données sur instruction, durée des incarcérations et pauvreté, traitées par les infographies montrent comment la discrimination est de fait institutionnalisé et racontent une histoire d’inégalité systémique.
Les cinq stades du deuil
Cette infographie compare l’expérience du trauma, du deuil, et de la résilience après l’attentat des tours jumelles, le 11 septembre 2001 à New York, avec celle vécue par les habitants de Gaza à la même époque. Ces derniers n’ont pas eu le temps de reprendre leur souffle entre une opération militaire israélienne et l’autre, ni de se remettre de l’embargo encore à l’ordre du jour sur leur territoire. Le peuple de Gaza, en particulier 40% des personnes qui ont moins de 14 ans et ont grandi dans le trauma de la violence, a besoin de quelque chose en plus qu’un simple cesser le feu pour essayer de dépasser les deuils advenus au cours de ces dernières années.
Anatomie de l’inégalité
Il y eut en 1948 à Jérusalem Ouest un nettoyage ethnique de Palestiniens. Le reste de la ville fut annexé à Israël en 1967 avec la majeure partie de ses habitants palestiniens. Aujourd’hui , la mairie israélienne qui contrôle Jérusalem y a mise en place des politiques et des loi d’apartheid vouées à soutenir les colonies israéliennes dans la ville, en s’assurant que la communauté palestinienne ne dépasse pas 40% de la population totale de la ville.
Aucun crime de commis …
Entre juillet et août 2014, Israël a lancé une violente attaque militaire sur la bande de Gaza. 556 enfants ont été tués, 30.838 sont restés sans abris, tandis que 66 écoles, 24 ambulances et 31.979 habitations ont été endommagées ou détruites. Cette infographie veut montrer non seulement les stratégies de destructions aveugles (les civils sont tout autant viser que les militaires) mises en œuvre par Israël et leur effet sur les civils et leurs infrastructures, mais il entend également mettre en évidence l’impunité accordé à Israël pour ses violations du droit international.
La Palestine rétrécie, Israël s’étend
Cette infographie interactive décrit l’arsenal militaire, légal, et financier qui a été utilisé dans la transformation progressive de la Palestine historique en « Grand Israël », en traçant sur une carte l’extension du territoire désormais désigné « terre d’Etat » israélienne, de laquelle les Palestinien – y compris ceux qui détiennent la nationalité israélienne- sont aujourd’hui en grande partie exclus.
Déracinés
Déraciner les oliviers palestiniens pour faire place aux nouvelles colonies, une pratique ininterrompue depuis 1967, dont les conséquences sont résumées par cet infographique : 800.000 arbres déracinés, qui couvraient une surface équivalente à 33 fois la surface du Central Park de New-York. 12,3 millions de dollars de perte, pour une production d'huile qui pourrait assurer un revenu adéquat à 80.000 familles palestiniennes.
Est-il vrai qu'il n'y a pas assez d'eau en Cisjordanie ?
596 millimètres d'eau tombent chaque année à Londres, contre 619 millimètres pour Ramallah. Le bassin hydrique anglais permet d'assurer chaque jour en moyenne 130 litres d'eau par personne. Qu'en est-il pour le bassin hydrique montagneux de Cisjordanie ? C'est ce que vient éclairer en 4 étapes cet infographique : 1) Appropriation des ressources hydriques : Israël contrôle la plupart des ressources hydriques de Cisjordanie, en établissant ainsi la quantité d'eau utilisable par les Palestiniens ; 2) Contrôle des fournitures hydriques : Les autorités israéliennes établissent le quota annuel d'eau destiné aux Palestiniens ; 3) Frein au développement [des infrastructures hydriques] : depuis 1967 aucune construction de puits palestiniens n'a été approuvée dans la partie plus riche du bassin hydrique de Cisjordanie ; 4) Destruction des infrastructures hydriques existantes : En 2011 l'armée israélienne a détruit 89 infrastructures hydriques, parmi lesquelles 21 puits et 34 citernes pour l'irrigation des champs et l'abreuvage du bétail. Résultat : chaque citoyen palestinien a droit en moyenne à 70 litres d'eau par jour, contre les 300 litres journaliers à disposition de chaque citoyen israélien.
L'eau de Gaza : confisquée et contaminée
En prenant la forme d'un sceau plein d'eau, l'infographique montre comment 95 % de l'eau potable à disposition des 117 municipalités de la Bande de Gaza soit inadéquate à la consommation humaine : les puits creusés dans le bassin hydrique côtier, que Gaza partage avec l’Égypte et Israël, présentent des taux de salinité élevés, ainsi que d'autres agents polluants. Le siège et les dernières opérations militaires israéliennes dans la Bande ont causé d'importants dégâts aux infrastructures hydriques et aux égouts, ce qui est une des causes des infiltrations d'eau de mer et d'eaux usées dans les canalisations. Les coupures de courant successives limitent l'activité des pompes et des stations d'épuration. Alors que les restrictions sur les importations de matériaux de construction ou mécaniques empêchent tant la réparation des infrastructures endommagées, que la construction de nouvelles installations.
Une politique d'évacuation. Les démolitions des habitations de Gaza et de Cisjordanie
Un territoire se définit par les personnes qui l'habitent, ou bien qui sont obligées de le quitter parce que leurs maisons sont systématiquement détruites. Dans cet infographique, Visualizing Palestine nous offre une chronologie « à rebours », de 1967 à 2011, de la démolition des habitations palestiniennes menée par le gouvernement israélien à travers la house demolition policy, la politique de démolition des habitations. En 2011, 22 maisons ont été détruites dans Jérusalem Est, en mettant à la rue 88 personnes ; 222 habitations dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie, ce qui a créé 1094 sans abri supplémentaires. Entre le mois de décembre 2008 et le mois de janvier 2009, l'armée israélienne a détruit à Gaza 4495 habitations, pour un total de plus de 20.000 sans-logis. De 1967 à 2011 on compte 25.000 habitations détruites et 160.000 sans-logis. Ce qui équivaut à la taille d'une ville italienne comme Livourne.
Comme le dit Jeff Halper, directeur du Comité Israélien contre les démolitions des habitations, cité dans l'infographique : « La politique des démolitions des habitations est en réalité une politique d'évacuation, d'un peuple qui dépouille un autre peuple de ses propriétés, en accaparant ses terres ainsi que son droit à l'autodétermination ».
Une évacuation constante. L'exil forcé des Palestiniens
Depuis 1922, certains se rendent en Palestine, d'autres la quittent. L'infographique synthétique montre un retournement de la situation. En 1922 vivaient en Palestine 750.000 personnes, parmi lesquelles 84.000 juifs. Entre 1918 et 1948 se sont établis en Palestine 480.000 juifs. Au cours de la seule année 1948, 750.000 palestiniens, la moitié de la population de l'époque, ont été contraints à l'exil. Entre 1948 et 1967, 1,3 millions de juifs s'installent en Palestine, alors que 440.000 palestiniens sont obligés de la quitter. Les Palestiniens qui vivent en exil sont alors 1,1 millions. Entre 1967 et 2008, 240.000 palestiniens de plus sont privés de leur droit de résidence, alors que dans la même période 1.8 millions de personnes s'installent en Israël. En 2008, vivent en exil 5,3 millions de Palestiniens.
Au centre de l'image, il y a une carte géographique qui montre les territoires palestiniens en blanc et les territoires israéliens en noir, ainsi que le retournement spatial qui a eu lieu : du blanc pointillé de noir, au noir parsemé de blanc. Si la population de chaque nation est pratiquement égale – 5.120.000 Palestiniens, contre 5.610.000 Israéliens – le territoire dans lequel les premiers sont contraints de vivre ne représente à peine qu'un tiers de celui où vivent les seconds.
Séparations familiales en couleur
La campagne Segregated by Colour a été lancée en 2014 comme un appel contre la séparation forcée des familles palestiniennes, causée par le système d’identification basé sur la couleur https://www.google.fr/intl/fr_it/policies/terms/?fg=1des documents d’identité contrôlée par Israël. En effet le système d’identités colorées est la première cause de séparation des Palestiniens de leurs proches. Le système divise efficacement ces derniers en cinq groupes distincts : carte d’identité israélienne, de Jérusalem, de la Cisjordanie, de Gaza et réfugiés en exil – distribués selon diverses aires géographiques. Selon Human Rights Watch, plus de 640.000 Palestiniens risquent d’être séparés d’un membre de leur famille qui possède une carte d’identité d’une couleur différente de la leur.
Traduction de l’italien en français Matteo Mancini, Nathalie Galesne
Tweet