Les étoiles de Sidi Moumen : un premier bilan encourageant
Manon Aubel / Morocco
Manon Aubel / Morocco
Trois ans après l'ouverture du centre culturel Les Étoiles de Sidi Moumen, nous avons passé une journée dans cet établissement qui fait de l'accès à la culture son cheval de bataille. Au programme du jour, rencontre avec quelques élèves entre un cours de beatbox, une séance de coaching et quelques riffs de guitare.
En poussant la porte du centre culturel de Sidi Moumen, malgré l’imposant hall d'entrée du bâtiment, on se sent le bienvenu. Car pour encourager les habitants du quartier à faire leur premiers pas vers ce nouveau lieu, l'accueil a été particulièrement réfléchi. Les bénévoles et une équipe dévouée à la promotion culturelle se montrent particulièrement attentifs aux passages.
"On veut montrer que la porte est ouverte à tous, qu'il n'y ait aucun frein psychologique pour venir se renseigner, s’inscrire... D’ailleurs, entre professionnels, on a laissé tomber la tenue costume-cravate. Cela peut paraitre banal, mais au Maroc, la plupart des institutions culturelles sont des lieux privés, avec des ambiances huppées." témoigne Zouheir. Cet ancien chorégraphe professionnel, régisseur et adjoint de la directrice Sophia Akhmisse, accompagne les publics du centre culturel depuis son ouverture.
Au centre culturel de Sidi Moumen, l’accueil est particulièrement bienveillant, pour inciter les familles à tester les activités. © Manon Aubel
Ce matin, une famille du quartier se présente pour la première fois avec ses deux enfants. Au même moment, un groupe d'une vingtaine de jeune quitte une salle du premier étage dans un brouhaha enthousiaste. "Je viens de m'inscrire à un programme de coaching" explique Faiza, 22 ans en terminant de signer un document. "Ce sera une bonne occasion de réfléchir à mes objectifs" s'exclame la jeune femme, étudiante en anglais. Faiza habite à dix minutes du centre culturel. Elle a commencé par s'inscrire aux cours de langues, et elle a progressivement découvert les ateliers de musique avec une prédilection pour les percussions et le chant.
Faiza pensait suivre les cours de guitare, mais après une année au centre, elle s’est révélée passionnée de chant. © Manon Aubel
Depuis quelques mois, elle peaufine ses morceaux avec un groupe d'autres jeunes musiciens motivés par la scène. Ils se retrouvent tous les week-ends au centre pour répéter. "J'ai une chance incroyable de pouvoir venir ici. Il faudrait pouvoir ouvrir d'autre lieux de ce type car cela remplit un grand vide".
À ses côtés, Anouar, 20 ans joue de la basse. Il vit à Sidi Moumen et se rend au centre chaque soir et chaque week-end. "Pour moi ici, c'est la famille. Ma mère m'a parlé de ce lieu à un moment où je voulais faire de la musique, mais on n'en avait pas les moyens… Je suis venu un peu à reculons, avec une certaine méfiance, et maintenant je viens tous les jours! Au centre, ma personnalité s'est développée. J'ai appris l'importance et le plaisir de s'exprimer à travers des activités simples. C'est important pour ne pas se retrouver soumis à n'importe quelle autorité." précise-t-il.
En 2017, le centre culturel a attiré près de 400 inscrits. © Manon Aubel
Le centre Les Étoiles de Sidi Moumen a attiré cette année près de 400 jeunes inscrits. Pour booster la fréquentation du centre, l'équipe a insisté sur l'implication des parents régulièrement invités à partager les ateliers et à découvrir les représentations. Les frais d'inscription, de l'ordre de 5 euros par mois, sont une manière de restreindre l'accès à des candidats sérieux et motivés. Pour les familles qui n'en ont pas les moyens, il est possible de faire parrainer son enfant. Ce parrainage tient à condition que l'enfant concerné n’en soit pas informé de ce dispositif spécial, pour ne pas affecter son ressenti, son implication. "Il est encore trop rare que les familles viennent spontanément pour un atelier d'art. Les cours de langues, perçues comme directement utiles par les familles, sont souvent un premier accès vers d'autres modes d'expression. Nous encourageons les élèves à essayer différentes disciplines."
La proposition culturelle est affichée chaque semaine, avec un large éventail d'activités: cours de langues, de théâtre, d'art plastique, de musique… Et les idées de programmation sont régulièrement renouvelées. Anass, 27 ans, ancien rappeur professionnel mieux connu sous le nom de Bawss, est devenu un professeur emblématique du centre. Entrepreneur autodidacte, il a participé à l'émergence de la Positive School, département spécialisé autour du rap et des cultures hip-hop. "Je trouve qu'il est important de reconnecter les jeunes à l'héritage du hip-hop, à son origine contestataire et pas simplement commerciale."
Le rappeur Bawss est le fondateur de l’emblématique Positive School, département hip-hop du centre culturel, qui propose de nombreuses spécialisations et rayonne à travers le Maroc.(© Manon Aubel)
Anass est une personnalité clé du centre. Les candidats viennent de tout le Maroc pour passer des castings. "Nous avons commencé par proposer quelques journées de stage et maintenant nous avons une équipe de six coach pour animer des workshops de plus en plus pointus : production musicale, djing, breakdance, new style et beatbox."
Une petite formation de beatboxer est justement en activité sur la scène de spectacle du centre. Le beatboxer Soufiane, alias Boobo, enregistre des boucles de son qu'il fait écouter à ses élèves en leur proposant des variations. Ses trois acolytes n'ont pas attendu le début du cours pour souffler leurs premiers sons. Soudainement, ils entament une improvisation de bruits soufflés-aspirés. "On peut imaginer reprendre n'importe quel orchestre à partir de ces enregistrements ", s'emballe Soufiane. "Le beatbox m'a tout appris. Grâce à lui, je rencontre des passionnés à travers tout le Maroc et dans le monde entier. À travers ce centre, j'espère créer une communauté marocaine dynamique autour du beatbox. Je vois des opportunités partout."
Soufiane et ses élèves en pleine improvisation de beatbox. © Manon Aubel
Cette énergie est certainement l'un des ingrédients du succès des Étoiles de Sidi Moumen. En novembre 2017, une deuxième antenne du projet a ouvert à Tanger, dans le quartier de Beni Makada. L'équipe du centre planche aussi sur de nouveaux projets, comme celui de proposer des formations à la promotion culturelle, à travers le Maroc. Projet par projet, l'expérience de Sidi Moumen essaime, et montre qu'il est possible de rendre accessible la culture à des jeunes de quartiers oubliés, soudainement possédés par un bel élan de liberté.